mardi 21 février 2012

Gare du Nord, 1850

Peut-être que je n’aime au fond que ce que je connais. Peut-être que ce qui me passionne sont toutes ces choses simples et belles, celles que j’ai arrivé à apprivoiser. J’aimerais que tu aimes ce que j’aime, ou même que tu aimes m’écouter en parler. Je n’ai pas envie de te laisser le choix, j’ai envie d’écrire, j’ai envie de te décrire. Tout. J’ai envie de t’obliger à lire, de te tenir en haleine, comme autrefois choper au cou les plus forts pour les rendre vulnérables.
J’aime Paris, Paris me manque. Paris la grande, Paris la rayonnante, je l’ai connue dans une autre vie. J’allais visiter les Halles, d’un pas léger, de ce pas qui survole sans exister vraiment, du pas de l’enfant qui jamais ne laisse de traces. Je prenais à partie les visages décoincés d’un univers autre et joyeux, j’étais petite fille, petite chose des rues, je me mêlais à l’ivresse sans y appartenir, j’étais d’un autre monde, je suis toujours d’un autre monde.
La liberté me manque. Cette liberté fausse et guindée des matins frais, du temps qui se ressent, sur la peau, sur les paupières que l’on ferme à l’envers face à tous les possibles.
J’ai été un Gavroche, sans doute enfant toujours, j’ai du mourir à l’âge de dix ans.
Je ne supportais pas d’entrer dans le haut monde, devenir parisien, devenir triste, devoirs faire semblant. Je voulais vivre le Paris du chaque instant plus fort, je voulais voler à l’étalage et sourire à Doisneau, qui dans un coin planqué me prenait en photo. J’étais encore Peter, un Peter trop moderne, je faisais bien du bruit pour vous tout en refusant de grandir. A ma mort, en sépia, une photo de moi, tenant entre mes mais un petit chat des rues, abandonné aussi, mort quelques temps plus tard d’avoir été adopté. Je n’étais pas misérable, j’étais vivant. Je me rappelle du bonheur, même s’il est illusion, qui jusqu’au bout guidait mes pas et ceux des grands seigneurs. Je n’oublierai pas la justice, l’amour, la passion violente ennemie de l’homme et pourtant liberté dans ce qui commençait à se dessiner : notre monde.
Je ne t’oublierai pas, c’est là qu’on s’est connus, que pour la première fois j’ai vu tes grands yeux noirs, attendant sagement encore un train de plus, magnifique, imposant, sur le quai de la gare.

dimanche 8 janvier 2012

Le danseur 2

Le rouge. Et soudain ma vie bascule.
Je respire. Je ne suis sans doute plus moi-même, mais comment le savoir ? Personne ne me regarde. J’attends le signal. J’attends le mouvement. Je ne peux plus bouger. Je ne pense qu’à moi. Je ne pense qu’à moi mais par moment, je sens un souffle de vent qui me retient en vie. Les secondes sont des heures. J’aperçois les éventualités infinies qui se profilent derrière le rideau qui s’entrouvre, laissant place à l’abîme. Le tout ou le rien. Me voilà face à ce que je contiens, seulement ça. Je dois donner et remplir le vide. Je ne peux plus apprendre, je n’ai nulle part où aller. Je dois juste exister, je dois juste donner le fond de ce que j’ai. Être ce que j’ai appris, pour croire que ce que j’ai appris ne fait qu’un avec ce que je suis.
Pour que ce que j’ai appris devienne inné aux yeux du monde. Leur évidence est mon gagne-pain. Mais c’est ma vie aussi. Voilà ma raison d’être, elle est pour vous ce soir, je dois juste danser.
Le noir. Et soudain l’air se teinte de facilité. De beauté, humaine, futile. Tant pis pour le silence.
Il s’élève une ivresse, et je me laisse happer. C’est mon devoir.
Les premières notes de musique. Dos au public.
Quelques instants encore, et la scène s’allume. Voilà l’art. Tant pis pour tout le reste.
Un début lent, je pose le bout de mes doigts sur ma tête. Voilà la vie.
Je suis raide et enflammé. Je tends, détends, je découpe chaque seconde du moindre de mes mouvements. Le sol est là. Je sens mes pieds en lui, je sens mes jambes, et je me plie.
Ça commence. Beaucoup trop vite. Le début, c’est le beau. En cet instant, le trac a déjà disparu.
La musique devient violente. Mes épaules prennent vie. Et je m’élance.
Je me retourne.
Le violon. Je suis le violon. Je connais mon air grave, je le vois dans les yeux noirs du public. Je suis un aveugle au visage triste. Concentré. Soudain concentré et par éclair, tout devient évident. Je sais où je vais. Je sais que cette note sera mon salut. Ma jambe droite rejoint mon dos, mes bras sont tendus, mes mains s’articulent, les doigts sont autant de partenaires de scène, vivants, indépendants.
La musique tourne les têtes. Je tourne mon corps. La musique se fait folle. Je ralentis.
Je deviens cette mélancolie que ma nuque approuve. Mes cheveux volent. Je n’ai plus d’expression, je ne suis plus moi. Je ne prétends plus savoir quoi que ce soit. Ma figure est un plan vide qui ne sert pas plus que le reste. Je plisse les paupières, je glisse, je courbe mon squelette, je casse mes poignets.
Et la musique en est une autre, elle, de belle, qui m’accompagne dans ce que je ne suis pas. Je ne suis pas là, je supervise juste ces brassements d’air. Je vois le temps qui passe entre chacun de mes doigts, je tends mon dos et immobilise mes mollets, je vois le temps qui passe et je ne le suis pas.
Ma joue touche le sol. Je sens mon cœur battre plus fort. De l’eau. De l’eau épicée qui coule de mon visage et qui gicle sur le noir sans fond sur lequel je m’appuie. Il est dur, ce sol, et sans lui, les jambes se seraient déjà envolées.
Le bassin vers le ciel et le visage nulle part. Je regarde la poitrine, le menton touche quelque chose, et rebondit en arche. Le nez s’envole et les épaules se déploient.
Ce sont les cervicales qui, dociles, portent l’instant sans le casser. Je sais que mes yeux sont fermés, je ne vois plus, je n’entends plus non plus. C’est que je suis cette fatalité, ce rythme qui s’empare du corps sans que j’aie le choix de l’écouter ou non. Je suis ce que je sens, je suis ce que je veux dire, et je suis surtout celui qui me regarde.
Je m’envole. Je m’envole mille fois.
Mes yeux s’ouvrent.
Je regarde devant moi. Mes sourcils sont froncés mais ma bouche s’étire en un sourire.
Me revoilà.
Je me souviens que je suis moi. Un instant, c’est si court ; aussi court qu’une vie. Un dernier pas de danse.
Je m’avance. C’est la fin. C’est déjà la fin. La musique est différente. Elle s’éloigne pour laisser place au faux, à ce que je maîtrise, à ce que j’orchestre ; moi, moi et mes derniers pas.
Je tourne, je me cambre, saute et retombe.
C’est le bassin qui se plie une dernière fois avant de m’appartenir de nouveau. Je retrouve mes genoux. Les pieds se rangent sous mon poids. Je m’en excuse presque.
Fin d’un rêve qui n’a appartenu à personne.
Je me recroqueville. Petite bête sur scène. Je ne suis plus qu’un cadavre. Je lance mes bras dans un dernier sursaut. La dernière note.
Un moment suspendu, un bref moment de vérité.
Et retentissent les applaudissements.
Le public se lève. Il a compris.
Il sait ce que le corps a voulu qu’il sache. Moi, je n’ai jamais pu comprendre.
Le rouge s’étire et vient me couper de ce moment de grâce. Rideau.
Je m’assois immédiatement, en un mouvement sec. C’est fini. La musique est finie. C’est fini.
Je dois partir vite.
Je cours, je traverse la scène, le public derrière le rideau, je peux entendre le choc bruyant de ses mains qui me remercient. J’atterris dans les coulisses.
C’est un autre corps qui prend ma place.
C’est fini pour moi.





mardi 18 octobre 2011

Le danseur

Ma vie n’est faite que de débuts et de fins. De flammes qui s’allument et s’éteignent. En musique. J’ai toujours écouté, fasciné, les gens qui parlent de leurs vies en se ventant de leur simplicité. Je n’ai jamais réussi à savoir si le monde était peuplé de menteurs, ou bien si j’étais juste un fou parmi les gens normaux. Je danse depuis toujours, peut-être parce que justement je me cogne à ce que je déteste. On est bien souvent attirés par ce qui nous détruit, comme les papillons sont attirés par la lumière. Je n’aimais pas la vie mais j’ai choisi de continuer, un peu maladroitement. Je n’aimais pas les hommes, j’ai choisi le contre-courant. Je n’aimais pas suivre du regard le courant de ma vie sans rien dire, j’ai choisi de réfléchir. J’avoue, je suis têtu. Je n’aimais pas le temps qui passe, j’ai choisi la danse.
En y réfléchissant bien, je ne sais pas si j’ai choisi. Parce que la danse, ce n’est pas ton corps qui la déclenche. C’est elle qui décide. C’est la musique et l’ambiance de l’instant qui font que tu danses. Ce n’est même pas une habitude. Ce n’est même plus une volonté. Je ne sais pas si on peut qualifier ça d’envie.
Je crois que c’est un besoin.
Un jour, il a bien fallu que je trouve un moyen d’échapper à tout ça. J’ai dansé.

mercredi 28 septembre 2011

Not sunny any more

-       Non mais vraiment, toi, t’es un rien du tout, mais un gros trou du cul de rien du tout de mes couilles ! Tu pourrais essayer de m’écouter un peu. Tu es juste un gros geek un peu stupide (sauf ton respect) qui vient d’essuyer sa première véritable peine de cœur. Franchement, t’as peut-être pas peur de la mort, mais t’es surtout débile !
-       Je l’aimais, et puis je suis pas gros. Geek, peut-être, mais c’est pas une insulte. Donc tu repasseras.
-       Je repasserai ? J’essaie de t’aider, là.
-       Oui, eh bien, tu repasseras. Je suis en train d’essuyer un chagrin d’amour.
-       J’essaie de t’aider par rapport à ça, abruti.
-       Ouais mais quand t’es là, j’ose pas pleurer, du coup je me sens un peu con, alors que j’aimerais me lâcher tout seul dans un coin, ça me ferait beaucoup plus de bien.
-       Tu pleures ou tu essuies ? Faudrait savoir.
-       Débarrasse-moi le plancher, s’il te plaît.

vendredi 16 septembre 2011

Médiévalités d'automne

J'aime bien les rois, les princes et les histoires de pirates.
Si j'ai le temps un jour, je vous parlerai de ma vie d'avant, dans laquelle j'étais une princesse transformée en grenouille. J'ai été sauvée par un ménestrel, vous imaginez un peu le bordel...

samedi 10 septembre 2011

Sans titre.

Je comprends pas pourquoi je hais autant les gens que j'aime.
Je comprends pas, c'est quoi, l'amour ?
Je comprends pas pourquoi, du coup, j'aime personne.
Je comprends pas pourquoi j'attends.
Je ne sais pas ce que j'attends.
Je me réveille le matin et j'ai peur sans savoir de quoi.
Je comprends pas pourquoi j'ai peur.
J'ai peur, j'ai peur, j'ai peur.
J'ai peur tout le temps, le matin et le soir.
J'ai peur même le midi.
Je ne sais pas ce que je cherche.
Je ne sais pas pourquoi je cherche quelque chose.
Je m'ennuie.
Je m'ennuie de tout, je m'ennuie d'ici.
Je me demande si ça vaut le coup de rester.
Mais bon, je pense que oui, quand même.

dimanche 4 septembre 2011

Mr Solitude

Assise à l'arrière d'une voiture. Voilà à quoi se résume ma vie. J'ai fais tout ça, tous ces week-ends en forêt, tous ces dimanches en famille, tous ce bordel, seize ans de bordel, toutes ces après-midi copines, toutes ces fêtes d'anniversaire, tous ces concerts et toutes ces heures de cours, toutes ces soirées où il y avait du monde, toutes ces après-midi où il n'y avait personne, toutes ces conneries pour me retrouver là, simplement assise, à l'arrière d'une voiture.
Est ce que tout le monde est aussi seul que moi ?
C'est ce que je me demande dans ces moments-là.
La phrase classique. Si je suis seule, c'est bien que je suis la seule à être seule, non ? Mais alors qui a inventé ce mot, "solitude" ? Un solitaire ? J'aimerais bien le rencontrer.
Quand je marche seule dans la rue (c'est à dire assez souvent), je me surprend à regarder les solitaires. J'ai remarqué qu'ils avaient souvent un chapeau. Pourquoi pas, c'est joli un chapeau. C'est classe. De suite, le jeune solitaire a un air classe, un côté marginal, démodé, décalé, décousu. Oui, parce que le solitaire est souvent jeune. Pour l'instant je remplis ces deux conditions, j'aime bien les chapeaux. Et je suis jeune. Mais pour mon malheur je ne remplis pas la troisième : être un homme.
Un artiste à l'aube du succès, dans un petit café parisien, chapeau, ramette de papier et croissant (ce genre d'action se passe toujours tôt le matin, quand tout est encore possible).
Voilà ce que j'aimerais être en cet instant. Un homme, tôt le matin, au fin fond du vieux Paris, en train de plancher sur l'oeuvre d'art future qui illuminera le siècle. Pourquoi un homme ? Je ne sais pas. Pour être entier, solitaire, pouvoir dire "je suis seul", et non pas "je me sens seule", parce que de suite, ça fait mièvre. Un homme, c'est un symbole. Et dans toute cette mer de solitude, j'ai besoin de symboles.
Mais il y a une raison pour laquelle je suis heureuse d'être une fille ; je peux ainsi à ma guise tomber amoureuse de l'artiste au chapeau dans son café.
Assise à l'arrière d'une voiture. Je regarde défiler des néons trop lumineux sous une pluie trop forte dans un froid trop froid (jusque dans la voiture) pour un mois de septembre.
Je ne sais pas si je peux encore prétendre arriver à penser. Je parviens à formuler une idée. Je ne suis sûre que d'une chose : Non, personne n'est aussi seul que moi.
Je descends de la voiture. C'est ça, la vie : descendre d'une voiture.
Et tâcher d'avancer. Personne n'a dit que c'était facile.